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EMMANUEL BOVE, JOURNALISTE


 

"Jean Taris est vainqueur de la traversée de Paris à la nage"

Les femmes partent les premières. A deux heures et demie,un coup de sifflet. Certaines plongent, d'autres sautent.

Un train s'est arrêté sur le pont National, sans tenir comte de son horaire. Il y a un moment de confusion. Il ne reste plus, sur la péniche de départ, que quelques officiels, un peu surpris d'être seuls. Des cors de chasse retentissent. Des centaines d'embarcations, parmi lesquelles une gondole, se lancent à la poursuite des concurrentes dont on n'aperçoit plus que les bonnets.

Au premier pont, celles-ci sont déjà à la file indienne. Une barque accompagne chaque nageuse, une barque où se dresse un père, un frère. Mais le Requin sur lequel, nous avons pris place est capricieux. Il fait marche arrière. Les hommes viennent de partir. Mais quelles est cette tâche claire d'eau bouillonnante qui s'avance vers nous à l'allure du pas de course ?

- Taris... Taris... crie-t-on de toutes parts.
C'est lui. Il nage de tout son corps à la fois, sans respirer, semble-t-il, sans le moindre effort, à travers une eau sombre qui ne lui offre aucune résistance. Derrière, à cent mètres déjà, un Italien, suivi de la gondole. Puis trois cents nageurs éparpillés, qui soufflent, parlent, font des signes à leurs suiveurs, dont la poitrine entière émerge parfois de l'eau.

Bientôt Notre-Dame, la Cité, le Louvre. Taris n'a pas ralenti. Toujours avec la même régularité, on voit ses longs bras sortir l'un après l'autre de l'eau cependant que, derrière, le battement des pieds fait jaillir une gerbe d'eau toujours renouvelée. On aperçoit déjà au loin la passerelle Debilly où a lieu l'arrivée. La foule est de plus en plus dense. Elle se tient debout sur les boîtes de livres des quais. Entre les volets des bains parisiens, des nageurs plus modestes hochent la tête. Taris ne les voit pas. Il n'entend rien. Il a jeté son bonnet, là-bas, devant la Halle aux vins, dans l'eau couverte de bouchons. Il avance toujours à la même allure. Il est arrivé. Il a gagné la traversée de Paris à la nage. Mais, devant l'échelle, il s'arrête comme à regret. Nous voyons son visage à présent. Aucune fatigue. Il est souriant.

Et quand enfin Taris se décidera à sortir de l'eau, il refusera négligemment les mains qu'on lui tend, la couverture que deux infirmiers en blouse blanche voudraient jeter sur ses épaules.

(Article inédit, Le Journal, 2 septembre 1936)


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